mardi 12 juin 2007

Charles-Albert Chabeauty (1879-1953), ses toiles marouflées vont un jour disparaître d'un immeuble de Westmount...


Dans un vieil immeuble d’appartements de Westmount, de belles toiles marouflées disparaîtront probablement un jour des murs sur lesquels elles ont été collées il y a de cela presque quatre-vingts ans….

Lorsque l’homme d’affaires R. Smith fit construire l’immeuble d’appartements – alors fort prestigieux –, il demanda à l’artiste Charles-Albert Chabauty de peindre des scènes qui pouvaient s’intégrer dans la cage d’escalier principal de l’édifice, et lui donner un cachet très bourgeois.

Mais qui était Chabauty ?
Charles-Albert Chabauty (1879-1953) est connu au Québec comme décorateur de nombreuses églises. Né en France, il est arrivé à Montréal en 1908, après avoir fait des études aux écoles des beaux-arts de Paris et de Lyon.
Fait étrange, à Montréal, Chabauty a d’abord eu une carrière de chanteur d’opéra ! Puis, il a participé, entre autres, à la décoration du château Dufresne, dans l’est de Montréal, ainsi qu’à celle du chalet de la Montagne.
On lui doit la réalisation de plusieurs tableaux de nos églises montréalaises telle la toile qui orne l'église Sainte-Marguerite-Marie-Alacoque. Aussi les églises Saint-Vincent-Ferrier, rue Jarry, dans le nord de Montréal ; les peintures qui parent le chœur de l'église Saint-Stanislas-Koska, boulevard Saint-Joseph. Il a été qualifié de peintre « minutieux et soigné ». Il a décoré de nombreuses églises de Montréal, d’Ottawa, mais aussi de Nouvelle-Écosse, du Michigan.
Les surfaces à couvrir dans la cage d’escalier de l’immeuble d’appartements de Westmount avaient des formes polygonales assez bizarres, aux dimensions tout aussi bizarres, de plusieurs mètres carrés. L’artiste Québécois s’en est fort bien tiré et le résultat est assez remarquable.


La cage d’escalier compte six toiles :
1) Entre le rez-de-chaussée et le deuxième étage (Il n’y a pas de « premier étage »).
Le paysage est vallonné, avec, en arrière-plan, un profond vallon dans lequel coule une paisible rivière. La vue est prise du somment d’un grand escalier. Ici, sur la droite, un bouquet d’arbres ; et là, dans la partie inférieure gauche, un paon – ne faisant pas la roue. De nombreuses détériorations sont très visibles dans la partie inférieure de la peinture.
2) Entre le deuxième et le troisième étage
Un grand escalier de pierre, d’une vingtaine de marches, aux murs verticaux recouverts de végétation automnale, avec quatre statues. Au premier plan, une pièce d’eau. Là encore, des signes de détérioration sont très visibles dans la partie inférieure de la peinture.
3) Entre le troisième et le quatrième étage
Une construction châteauesque de pierre, avec un péristyle, au toit plat dissimulé par une balustrade. Avec, sur la droite, un bosquet d’arbres et, au premier plan, une pièce d’eau ornée de trois statues.
4) Entre le quatrième et le cinquième étage
Une construction châteauesque de pierre, genre le Petit Trianon de Versailles ou le château Dufresne (dans l’est de Montréal), au toit plat dissimulé par une balustrade avec, de chaque côté, un bouquet d’arbres et, au premier plan, une pièce d’eau.
5) Entre le cinquième et le sixième étage
Sur la droite, une construction de pierre, avec, sur la gauche, un bouquet d’arbres et, au premier plan, un étang.
6) Entre le sixième étage et la terrasse
Une immense falaise, sur la droite, est sommée de fortifications (genre fort de Joux, Jura, en France), avec, au premier plan, un étang et, dans la partie inférieure gauche, une vasque. La toile, tout en hauteur, est très décolorée à cause du puits de lumière situé juste au-dessus… Dommage !
Toutes ces toiles sont signées fort lisiblement : « CA (deux lettres entrelacées) Chabauty ». Bien sûr, il est difficile d’identifier quels sont les lieux géographiques qui servirent d’inspiration à l’artiste. Un visiteur avisé a cru reconnaître les jardins du château de Versailles, mais la preuve reste à faire, et ces toiles sont peut-être de simples compositions comme le témoigne la présence d’un paon sur l’une d’elles.

L’entrée principale
L’entrée principale de l’immeuble possède aussi deux autres toiles signées du même artiste. L’une représente, du pied des rapides du Richelieu, le fort de Chambly, construit en 1711. L’autre, un paysage sans doute inspiré de la région de Chambly, avec au premier plan un cours d’eau.
Les installateurs du système contre l’incendie n’ont pas hésité à percer l’une de ces deux toiles pour laisser passer un… gicleur d’eau !

Quand même regrettable !
Dommage que ces toiles marouflées (« maroufle », qui date du XVIIe siècle, veut dire
« colle forte » ) soient laissées à l’abandon et s’en aillent en petits morceaux, accrochées ici et là par un coin de meuble lors d’un déménagement un peu trop hâtif !
Dommage que les locataires ne se soucient guère de ces toiles qui ne sont peut-être pas de purs chef-d’œuvres mais qui appartiennent néanmoins au patrimoine décoratif de Westmount. Un vandale a même dessiné un x sur l’une des toiles… Un animal laisse toujours ses traces ! Un jour, on y retrouvera des graffitis…, juste pour s’amuser !
Dommage que le propriétaire actuel ne fasse rien pour protéger ces toiles, ne serait-ce que de poser une plaque de matière plastique si facile à installer et d’un coût si minime. Une blessure laissée par un morceau de toile arraché a été repeinturluré avec de la peinture commerciale…

Dommage !
Ces toiles ne sont pas de qualité muséale, m’a affirmé un spécialiste du Musée des beaux-arts de Montréal, mais elles sont des témoignages éloquents de l’œuvre de Charles-Albert Chabauty. Mais cela n’est sans doute pas une raison valable pour les laisser s’effacer !
Ainsi, un jour prochain, disparaîtra peut-être en lambeaux le patrimoine décoratif de ce bel ancien immeuble d’appartements, dans le silence et l’indifférence totale des uns et des autres – mêmes des spécialistes alarmés.
Légalement, aucun règlement municipal, m’assure-t-on à l’hôtel de ville de Westmount, ne protège l’intérieur des immeubles qui tombent sous sa juridiction.
Un jour on constatera peut-être la dégradation totale ou la disparition pure et simple de ces toiles marouflées, et qui sait, peut-être seront-elles un jour badigeonnées au lait de chaux comme ce fut le cas des fresques trop dénudées du château Dufresne, dans l’Est… Et des historiens de l’art en seront tout émus, indignés (peut-être même outrés), peut-être en pleurerons-ils des larmes crocodiles – un peu tardivement.
Il faut agir maintenant. Pas demain. Aux armes citoyens !

1 commentaire:

Sophie a dit…

Comment s'adresser à la personne qui a écrit un article sur les tableaux de Charles-Albert Chabauty (juin 2007)?

Je possède plusieurs huiles sur panneaux de bois représentant des scènes de guerre avec la signature de cet artiste...

Il y a belle lurette que je cherchais des réponses sur leur provenance et c'est en en parlant avec une collègue enseignante en art qui, trouva cet article sur le net, que je pus enfin en savoir davantage...

Merci de bien vouloir me répondre personnellement à ce sujet!

Sophie